Comment maintenir ou améliorer la durabilité de mon système légumier de plein champ en temps de crise ?

Dans un contexte de tension sur les marchés bio, en particulier en légumes, les partenaires du projet VivLéBio2 (Maîtrise des Vivaces et insertion de légumes de plein champ dans les systèmes de grandes cultures biologiques) vous partagent une analyse de la situation et les leviers mobilisables à l’échelle de vos exploitations pour faire face à la crise actuelle.


LA FILIERE LEGUMIERE BIOLOGIQUE FACE A LA CRISE

Une filière affectée à cause d’une baisse générale de la consommation

Le recul général de la consommation de légumes conventionnels et biologiques (-12% de volumes de fruits et légumes achetés entre janvier et septembre en 2022 par rapport à 2021 – source Kantar) explique en partie la crise à laquelle fait face la filière légumière. Cette diminution a plusieurs origines. La levée des restrictions sanitaires dues au COVID a sûrement modifié les priorités budgétaires des Français. De plus, en mars 2021 le couvre-feu étant encore en vigueur, la cuisine de produits frais était plus importante. En 2022, l’inflation des prix, la diminution du pouvoir d’achat et le contexte anxiogène dû à la guerre en Ukraine accentuent la baisse des ventes de légumes qui ne sont pas des produits prioritaires pour la population. Plus généralement, le chiffre d’affaires généré par la vente de produits bio a baissé de 5% par mois entre octobre 2021 et octobre 2022. La moindre baisse des ventes constatée sur les derniers mois est accentuée par une augmentation des prix à la vente pratiquée par les GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) ainsi que le déréférencement des produits bio dans certaines de ces enseignes. (Source : revue de presse marché, décembre 2022, FNAB).

D’importants prix de vente qui pâtissent de l’inflation et des surmarges

Heureusement, les produits bio sont moins impactés par l’inflation globale (4% pour les produits bio contre 6% pour les produits conventionnels en juin 2022 (Source : IRI)), car les systèmes agricoles bio sont plus résilients, plus autonomes et moins dépendants des importations. Malgré tout, cette mieux-disance à la production n’est pas récompensée en GMS qui appliquent des surmarges sur les produits bio (Figure ci-après : surmarges appliquées par les GMS sur la pomme - Source : UFC Que Choisir, 2019).

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Dans ce contexte, une enquête sur les prix des légumes bio dans différents circuits de commercialisation (GMS, Biocoop, vente directe…) a été menée par Bio en Hauts-de-France pour objectiver cette hypothèse. Elle montre que les GMS pratiquent des prix significativement plus élevés dans leur gamme bio que les autres circuits de commercialisation (sauf pour la carotte bio).

Une fragilité due au développement rapide de la filière et un fonctionnement calqué sur le modèle conventionnel

De 2015 à 2020, la production légumière de plein champ s’est construite à un rythme très soutenu face à une croissance à deux chiffres de la consommation de produits bio et un marché industriel très dynamique. Pour accéder à ces marchés, les producteurs ont investi de manière conséquente (50 à 300 000 € pour le matériel semis/désherbage/récolte, 150 à 300 000 € pour l’irrigation, 400 000 à 1 million d’€ pour le stockage). Ces investissements conséquents couplés à des besoins élevés en fonds de roulement, ont fragilisé économiquement certaines exploitations face à un revirement rapide du marché.

De plus, les exigences des modèles industriels spécialisés déjà existants en conventionnel se sont rapidement appliqués dans ces filières bio, contraignant la résilience agro-environnementale et économique de ces systèmes (concentration des zones de production, choix limité de variétés, dates de semis et de récolte imposées, exigences des calibres et formes obtenus, nécessaire irrigation et mécanisation). Afin de financer les investissements réalisés pour viser la rentabilité des cultures légumières de plein champ, le non-respect d’un délai de retour pour ces cultures sur une même parcelle a entraîné dans certaines situations des impasses agronomiques (fertilité, gestion des adventices, gestion des maladies/ravageurs).

Ces impasses ont engendré des coûts de production et des pertes parfois conséquentes qui ont fragilisé les modèles économiques des exploitations et de la filière. Ces constats sont à l’origine de la création du projet VivLéBio dont l’objectif est de trouver des solutions aux contraintes des systèmes légumiers biologiques de plein champ pour assurer leur durabilité.

Les avis des opérateurs économiques partenaires de VivLéBio2 sur la situation et les leviers engagés face à la crise :

  • Norabio :

« Ne pas produire quelque chose qu’on ne saura pas vendre et différencier nos prix selon les coûts de production »

Pour la coopérative Norabio, dans ce contexte de crise, il s’agit de limiter les paris et produire uniquement ce qui est engagé avec les opérateurs de l’aval. "Le kilo de légumes invendus coûte très cher. C’est un produit qui a accumulé toutes les charges de l’exploitation, plus celles du stockage et du transport. C’est particulièrement vrai pour les produits vendus au printemps. Nous souhaitons sécuriser au maximum les contrats. »

Pour ce faire, la coopérative a engagé un travail précis d’analyse des coûts de production produit par produit. « Ce travail nous a permis de différencier nos prix avec chaque client selon les produits et ainsi répercuter les hausses de manière objective ».

  • Le Marché de Phalempin :

« Raisonner filière et non uniquement à l’échelle de son exploitation »

Pour le Marché de Phalempin, en cette période où le commerce se complexifie, l’outil coopératif de structuration des filières démontre encore plus toute son utilité. En effet les investissements réalisés sur les postes de stockage, calibrage, conditionnements des légumes bio sont raisonnés et dimensionnés à l’échelle d’une filière. Ce fonctionnement qui promeut le collectif permet de limiter les investissements individuels. In fine se structurer en groupe permet aussi de bénéficier d’une plus grande réactivité commerciale tout en préservant dans la durée la qualité des produits de nos producteurs. Seul, on va peut-être plus vite, mais à plusieurs on va certainement plus loin !

QUELS LEVIERS PEUVENT ETRE MOBILISES A L’ECHELLE DE MON EXPLOITATION ?

Revenir au bon sens paysan pour assurer la production

Diversifier mes productions et bien concevoir ma rotation

La diversification permet, en cas d’accident cultural ou de crise sur un marché particulier, de bénéficier des gains des productions non impactées, les systèmes spécialisés étant plus sensibles aux variations. Le choix des cultures est fonction des opportunités du marché mais leur insertion dans la rotation doit respecter les principes de base. En effet, la conception de la rotation est le premier levier agronomique qui permet de gérer le salissement des parcelles, la nutrition des cultures et la prévention des maladies.





Quelques principes agronomiques de base pour bien concevoir sa rotation :

  • Alterner cultures d’hiver et cultures de printemps pour éviter la sélection et la prolifération des adventices dont la période de levée correspond à la période de semis des cultures de printemps
  • Respecter les délais de retour des cultures sensibles à certaines maladies (sclerotinia, aphanomyces…)
  • Placer les cultures à fort besoin d’azote derrière les cultures qui en restituent beaucoup
  • Mettre en place des couverts d’interculture en l’absence de vivaces pour éviter les pertes d’azote
  • Réfléchir la composition des couverts pour éviter de mettre en place des plantes hôtes des maladies avant les cultures principales qui y sont sensibles

Exemple d’une rotation légumière bien construite :

Rotation légumière




Maîtriser mon itinéraire technique pour réduire les déclassements et pertes

Dans les systèmes légumiers, le déclassement des produits peut engendrer un important déficit de rentabilité. Ces déclassements (dégâts de bioagresseurs telluriques, présence d’adventices toxiques, calibres et formes…) sont en partie dus à des manquements techniques. La montée en compétences à propos des problématiques rencontrées permet d’améliorer la maîtrise de l’itinéraire technique. Par exemple, la connaissance des fertilisants couplée à la réalisation des bilans est indispensable pour ne pas générer des coûts de sur-fertilisation. La compréhension de la biologie des adventices et des leviers mobilisables permet de choisir ceux à combiner pour éviter le salissement des parcelles pouvant conduire à une impasse. Cette montée en compétences peut se faire de diverses manières : documents, conseil, groupes d’échanges, journées techniques, tours de plaine, formations… L’amélioration de la qualité des productions influencera positivement leur prix de vente.

Envisager l’après-récolte dès la mise en place de la culture

Avant de mettre en place une culture il est plus que jamais nécessaire d’avoir une réflexion sur ses débouchés en lien avec l’opérateur collecteur. Cet échange à l’échelle de la filière peut aussi permettre de choisir des variétés plus adaptées à la fois aux besoins du marché mais aussi de communiquer les contraintes de production aux utilisateurs finaux. C’est dans ce contexte que Bio en Hauts-de-France travaille sur un projet de filière autour du choix de variétés de pomme de terre « robustes », résistantes notamment au mildiou, en partenariat avec les chambres d’agriculture du Nord Pas-de-Calais et de la Somme.

Finalement, un produit de qualité, correctement récolté et stocké dans de bonnes conditions, aura une durée de conservation allongée. Ceci permet de faire face aux délais parfois plus longs d’achat et de vendre sa production au moment le plus favorable.

Maîtriser ses coûts de production pour prendre les bonnes décisions

Bien gérer ses investissements

L’investissement dans le matériel de production est conséquent mais des leviers existent pour diminuer son coût : augmentation de la surface d’amortissement en mutualisant l’achat du matériel à plusieurs ou en l’utilisant sur plus de surface, choix d’un matériel polyvalent ou de cultures qui nécessitent le même matériel. Un bon entretien du matériel permet également d’augmenter sa durée de vie et de limiter les pannes. Dans le contexte actuel, les investissements en matière d’irrigation ou dans des installations de stockage sont à bien réfléchir. Si l’irrigation permet d’assurer la stabilité des rendements face aux aléas climatiques, son introduction est à raisonner en fonction de la valorisation économique des cultures la nécessitant. De plus, la dépendance à des volumes d’eau importants pose également question dans un contexte où les scénarios climatiques laissent présager des tensions croissantes sur la ressource en eau dans les années à venir. Enfin, l’investissement dans des installations de stockage est à raisonner prudemment à cause des coûts énergétiques croissants depuis un an.

Favoriser la gestion des ressources humaines

La main d’œuvre est indispensable pour les systèmes légumiers (désherbage, récolte, stockage, conditionnement). La maîtrise de l’enherbement par la mise en œuvre des principes agronomiques est un préalable pour maîtriser ce poste. Le respect des seuils de rentabilité permet de stopper le désherbage lorsqu’il remet en cause la rentabilité de la production. Enfin l’encadrement, la formation et la fidélisation de la main d’œuvre sont importants. Désigner un chef d’équipe et fidéliser les salariés occasionnels en les mobilisant sur des périodes plus longues sont des clés de réussite identifiées chez les producteurs régionaux. Enfin, les groupements d’employeurs contribuent à favoriser la gestion des emplois sur les fermes.

Prévoir une provision pour risque pour gérer économiquement les aléas de production

Les caisses de péréquation et assurances ne sont pas disponibles pour toutes les cultures légumières et/ou tous les types de risques pour pallier les aléas de production. Il est donc pertinent d’intégrer dans les coûts de production une « provision » pour ces risques. Le calcul de ce montant a été réalisé dans le projet VivLéBio1 et est présenté dans une fiche dédiée.

Réfléchir à l’échelle de la rotation et de la ferme

Afin de pouvoir rémunérer l’ensemble des charges de la ferme par les productions générées, il est nécessaire de tenir compte des coûts liés aux cultures utilisées à des fins agronomiques telles que les engrais verts ou autre couvert d’entretien. La prise en compte de ces charges sera basculée sur les cultures bénéficiaires.

Comme indiqué plus haut, un soin particulier est à apporter aux légumes stockés à la ferme. La perte de volumes liée au stockage est à prévoir également dans le cadre de la provision pour risque puisqu’elle a les mêmes conséquences qu’une perte de rendement au moment de la récolte.

L'expérience de Nicolas Thirard, agriculteur dans la Somme

Nicolas Thirard, agriculteur bio dans la Somme (impliqué dans le projet VivLéBio2) a investi dans une troupe ovine de 80 brebis en vue de gérer la fertilité de ses sols de manière plus autonome. C’est bien la recherche de cohérence agro-économique à l’échelle globale de son système qu’il a privilégié ce choix. La troupe va pâturer la luzerne et le trèfle présents dans la rotation et leurs déjections fertiliseront le sol en vue de réduire les charges liées aux apports d’engrais organiques.

Choux,Agriculture de conservation

Comment évaluer la durabilité de mon système ?

En plus de votre ressenti sur le bon fonctionnement de votre système et du retour du bilan économique, différents outils permettent aujourd’hui d’objectiver l’évaluation de la durabilité de votre système. Ils permettent aussi de réaliser des simulations de changements de pratiques et aident à reconcevoir certains aspects de son système. Concernant la durabilité globale de son système, une liste interactive de questions est disponible dans le centre de ressources sur l’AB d’Agro-Transfert. Pour la durabilité agronomique, l’outil Odera-Vivaces, accessible gratuitement sur le même site permet d’évaluer le risque de développement du chardon sur ses parcelles en fonction de ses pratiques. Sur le même principe, Odera-Systèmes réalise la même évaluation concernant les adventices annuelles. L’outil de simulation SIMEOS-AMG permet de simuler l’évolution de la matière organique sur les 30 prochaines années. Il sera prochainement paramétré pour les systèmes biologiques. La réalisation des bilans azotés, phosphorés et potassiques permettent de vérifier le bon équilibre apport-besoins de ces éléments.

AU-DELA DE L’EXPLOITATION : QUELLES PERSPECTIVES ?

Finalement, en plus des leviers mobilisables à l’échelle de l’exploitation, d’autres solutions sont à considérer à l’échelle régionale et nationale. Nous bénéficions en région Hauts-de-France d’un Plan Bio Régional, piloté et financé par la Draaf et le Conseil Régional, auxquels s’associent les Agences de l’eau et les Conseils départementaux, qui vise notamment à :

  • Favoriser le dialogue entre producteurs et opérateurs de l’aval afin de construire des filières mieux-disantes, territorialisées et équitables
  • Relancer la consommation des produits bio à travers :
    • La communication auprès du consommateur (reconquérir la confiance et la visibilité du label AB, favoriser l’engagement des interprofessions)
    • Développer l’introduction des produits bios au sein de la restauration collective (respect de la loi Egalim – 20 % de produits bio en restauration collective)

En conclusion, en ces temps difficiles, remettre l’agronomie au premier plan (rotations, gestion raisonnée de la fertilité etc.) et s’engager auprès d’opérateurs économiques stables seront gages de pérennité. La réflexion sur l’amélioration du système pourra s’effectuer collectivement mais aussi par l’accompagnement des conseillers.

Julie LEROY, Aïcha RONCEUX, Morgane TOPART (Agro-Transfert RT), Jean-Baptiste PERTRIAUX, Fanny Vandewalle, Alain Delebecq (Bio en Hauts-de-France), Alain LECAT (Chambre d’Agriculture de la Somme)

Pour aller plus loin :