Assises du lait bio 2023 : enseignements et perspectives

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Le 4 décembre 2023 se sont déroulées les 2èmes Assises du lait bio régionales organisées dans le cadre du Plan bio régional. Cet évènement, qui a réuni 90 participants, coordonné par les éleveurs de la commission lait de Bio en Hauts-de-France, a pour objectif de réunir les acteurs de la filière laitière et les acteurs publics autour des préoccupations des éleveurs. Le parti pris de la démarche est de réunir l’ensemble de la filière pour réfléchir à la façon dont elle peut évoluer pour mieux répondre aux préoccupations particulières des éleveurs : le prisme est donc volontairement centré autour des problématiques amont dont les réponses peuvent être apportées par l’aval de la filière. Une trentaine d’éleveurs, 5 laiteries, 3 distributeurs ont notamment répondu présent.

Après Arras en 2021, le rendez-vous a cette fois-ci été donné à Maroilles, dans l’Avesnois, 1er territoire bio et bassin laitier des Hauts-de-France. Le Parc Naturel Régional de l’Avesnois est en effet très impliqué en matière d’agriculture biologique, comme le Maire de Maroilles et Vice-Président du PNR Dominique Quinzin n’a pas manqué de le rappeler en introduction de la journée : « l’agriculture biologique est un mode de production qui répond aux enjeux de préservation de la qualité de l’eau et de la biodiversité sur notre territoire bocager. C’est pourquoi, depuis 2010, le PNR Avesnois en a fait un objectif de développement ambitieux, et compte réaffirmer ces ambitions pour 2040 : atteindre 30% des surfaces agricoles en bio sur le territoire ». Le PNR dispose notamment d’un plan bio ambitieux, et d’une campagne de communication percutante pour toucher le grand public.

Depuis 2 ans, les dix éleveurs et éleveuse de la commission lait alertent sur les enjeux de la filière : déclassement et manque de valorisation du lait de printemps, manque de reconnaissance du rôle de régulation des éleveurs Biolait dans la filière, manque d’attractivité du métier et difficulté à transmettre les exploitations, déficit d’activation des outils de régulation pour la filière bio etc. La journée a permis d’aborder plusieurs sujets :

  • Etat des lieux de la filière lait bio : conjoncture et perspectives
  • Outils de régulation et de gestion de crise : comment s’en saisir et les activer pour les éleveurs bio ?
  • Mieux valoriser le lait de printemps produit à l’herbe, aujourd’hui déclassé : vers un fromage bio régional créateur de valeur ajoutée pour la filière laitière ?
  • Parallèlement, Marie-Sophie Lesne, Vice-Présidente de la Région Hauts-de-France a animé un atelier d’échanges avec les représentants de la distribution, Carrefour, Auchan et Biocoop, dans l’espoir de trouver des solutions aux problématiques rencontrées par les éleveurs bio : baisse du référencement des produits bio, partage de la valeur ajoutée, communication positive envers la bio…
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Enseignements et perspectives

Etat des lieux de la filière et conjoncture

Corentin Puvilland, économiste du CNIEL, est venu nous apporter un éclairage économique et conjoncturel sur la situation actuelle. Pour la 1ère fois en région, les volumes collectés sont à la baisse (-2% entre septembre 2022 et septembre 2023), une tendance que suit la moitié nord de la France (Normandie et Grand Est compris), qui, jusqu’alors, voyait toujours ses volumes à la hausse. La baisse de la consommation, quant à elle tend à ralentir et à se stabiliser. On peut se demander comment va évoluer le marché les prochaines années, jusqu’en 2026, si la situation se poursuit. Parmi les perspectives, un manque de lait bio en 2027 est envisageable. En complément la fiche filière lait présentant l’état des lieux de la filière lait bio régionale.

Table ronde sur les outils de régulation de la filière

Si aujourd’hui des actions commencent à se mettre en place pour communiquer sur le label bio auprès du grand public afin de reconquérir le consommateur au niveau national, régional et parfois territorial (campagne Bioréflexe, le mois de la bio, la fête du lait bio, campagne de communication lancée par le PNRA, etc.), des problématiques d’ordre structurel profondes persistent et tardent à être saisies par les acteurs. Et pour cause, il n’existe pas aujourd’hui d’instance de concertation spécifique à la filière laitière bio, encore considérée comme une segmentation du marché laitier selon l’interprofession laitière : l’AB peine donc à trouver ses propres outils de régulation. « La filière bio n’est pas une niche, c’est plus que ça, c’est une filière qui répond aux enjeux de l’avenir » a défendu Godefroy Duterte, éleveur bio membre de la commission lait. « Avec près de 56 millions de litres collectés en région et plus d’1 milliards au national, la filière lait bio ne peut plus être considérée comme une niche ni une segmentation si on veut piloter son développement correctement ».

Pour soutenir la filière en ces temps difficiles, il existe des outils à l’échelle du pays et de l’Europe que Sophia Majnoni D’intignano, déléguée générale de la FNAB (Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique) est venue présenter lors de la 1ère table ronde de la journée « organisation de la filière bio : vers une gestion collective et concertée des volumes et des conversions » :

  • Des outils de stabilisation : ils sont à mobiliser en amont pour éviter la crise et anticiper une surproduction (ex : aide de l’Etat pour stabiliser les marchés agricoles via l’achat et l’aide au stockage privé.).
  • Des outils de gestion de crise : (ex : dérogation aux règles de la concurrence en autorisant pendant 6 mois l’entente).

Ces outils n’ont jusqu’alors pas été activités pour deux raisons principales :

  • La crise doit être reconnue comme européenne, or la gestion de celle-ci est différente selon les pays, comme nous l’a démontré Burkhard Schaer d’Ecozept en nous présentant le cas de l’Allemagne.
  • La crise doit être d’ordre conjoncturelle pour activer les outils adéquats. Or, l’interprofession, appuyée par le ministère, caractérise la crise comme strictement structurelle. La bio aurait, en effet selon eux, atteint son plafond de verre.

En résumé, il existe des outils de gestion de crise qui ne sont pour le moment pas activés car non portés par un consensus européen, et par manque de reconnaissance des spécificités de la filière bio par l’interprofession laitière.

Pour donner suite aux débats, les éleveurs de la commission lait de Bio en HDF proposent de :

  • Continuer à œuvrer pour faire reconnaitre les spécificités de la filière lait bio en région et au national, afin d’adopter les dispositifs d’intervention spécifiques.
  • Faire monter en compétence l’ensemble des acteurs et en particulier les éleveurs sur les moyens et outils de régulation.

Comment ?

  1. En initiant un espace d’échange régional informel avec les laiteries volontaires et quelques éleveurs mandatés pour partager les informations, réflexions, projets en cours, etc. Une première réunion sera proposée au printemps 2024. Un rythme de 2 réunions/an est envisagé ;
  2. En examinant la proposition faite par le CRIEL lors des assises de siéger au sein du CRIEL en occupant une place dans le collège producteur représentant les éleveurs bio ;
  3. En créant un cycle de webinaire permettant aux membres de la filière régionale de monter en compétence sur les outils de régulation existants et sur les moyens d’action possible à différentes échelles. Un 1er webinaire est envisagé à la fin du printemps/début de l’été.

Table ronde sur la mobilisation des distributeurs, affineurs et fromagers autour de la transformation fromagère

Aujourd’hui, la collecte de lait bio s’élève à plus de 55 millions de litres dans les Hauts-de-France. Pourtant, la région est sous-dotée en capacités de transformation : seuls 8% des besoins des habitants en produits laitiers sont couverts par la capacité productive des outils de transformation régionaux. Par ailleurs, la part de lait liquide est sur-représentée par rapport à la part de fromage qui représente à peine 6% en Région.

SCHEMA ASSISES

Suites aux conclusions et recommandations issues des assises du lait bio de 2021, la commission lait de Bio en Hauts-de-France a imaginé un projet dans lequel une nouvelle production fromagère, et plus précisément une tomme, verrait le jour en Hauts-de-France et permettrait ainsi d’écouler les volumes de lait produit au printemps et d’ajouter de la valeur à la filière régionale. Plusieurs études ont déjà été menées cette année (benchmark, étude de marché, étude sur la fromageabilité du lait de printemps, etc.) dont les résultats confirment la pertinence d’un nouveau fromage produit à base de « lait à l’herbe ».

Plusieurs acteurs sont venus témoigner de leurs expériences sur le sujet :

  • Mélanie Richard, sociétaire de Biocoop dans le Cantal, a présenté un projet aux ambitions similaires qu’elle et ses collaborateurs sont parvenus à mettre en place dans sa région. En partenariat avec un lycée agricole sur la partie transformation, ils ont su développer une gamme de 3 fromages vendus dans près de 450 magasins Biocoop. Si aujourd’hui les volumes transformés restent pour le moment faibles, il n’en reste pas moins un exemple d’initiative qui, multiplié ou porté à plus grande échelle, pourrait permettre de valoriser un volume significatif.
  • Charles Beauquesne, créateur et dirigeant de Affinord (grossiste en produits laitiers basé à Amiens) s’est dit prêt à prendre part à la création d’une nouvelle gamme de fromage bio, dont le lait est « fait à l’herbe » : « On cherche du bon, et souvent c’est dans le bio que l’on trouve du bon ». Il a également confirmé la pertinence d’un tel produit au sein du marché : « un fromage de qualité qui est porteur d’un message, de valeurs et d’un savoir-faire, on sait le vendre en magasin ».

Perspectives et enseignements : poursuivre le projet de R&D LAIT’S GO animé par Bio en Hauts-de-France pour le développement d’une tomme bio régionale de longue conservation à travers un comité de pilotage réunissant éleveurs et opérateurs de la filière :

  • Lancer les premières expérimentations au printemps 2024 : s’inspirer de l’expérience Aveyron Brebis Bio ; recruter un pool de magasins / détaillants moteurs ; valider un plan d’expérimentation ;
  • Explorer le modèle d’organisation possible : « pourquoi pas développer de petites unités de transformations travaillant en réseau avec un affineur central pour des marchés plus importants » a partagé Raphael Delva, éleveur bio

Enseignements de l’atelier « distributeurs / GMS » animé par la Région et la DRAAF

Marie-Sophie Lesne, Vice-Présidente de la Région Hauts-de-France a posé en introductions ses attentes en qualité de co-pilote du plan bio régional : « L’agriculture biologique est déjà marquée par des déconversions, il est urgent d’agir pour préserver à la fois l’environnement, en particulier la qualité de l’eau, et nos capacités productives en région. Une crise de la demande touche les producteurs bio : une sortie de crise durable n’est possible que si chaque maillon des filières accroît ses efforts pour relancer la consommation, d’où cet échange avec les GMS, acteurs incontournables de la demande en bio en tant qu’interface avec le consommateur ».

Quelques éléments conjoncturels ont été partagés :

  • Un habitant des Hauts-de-France consomme en moyenne 100€ par an de produits bio, soit 2€ par semaine (moyenne nationale : 200€).
  • Baisse des ventes observée en magasins spécialisés et généralistes. La stabilisation récente du chiffre d’affaires est due à l’inflation, qui masque la perte de volumes.
  • Côté distribution spécialisée, il y a eu plus de fermetures que d’ouvertures à partir de 2021. Or, la diminution des points de vente entraine mécaniquement une baisse de la consommation.
  • En GMS, la baisse de l’offre en rayon a été plus rapide que la baisse de la demande, ce qui a contribué d’autant à accélérer la baisse de la demande.
  • On estime en 2023 à une soixantaine le nombre de déconversions totales en région Hauts-de-France, soit plus de 2500 ha, dont une dizaine d’éleveurs laitiers (chiffres indicatifs).
  • Les corners spécialisés en bio dans les magasins généralistes qui se sont fortement développés par le passé, ont soit disparu, soit connu une réduction de leur taille depuis la baisse de la consommation. Les magasins conservant des corners bio ont fait face à une baisse de la consommation bio moins élevée (-4% des ventes bio pour les magasins avec corners / -10% pour les magasins sans corners).
  • Les consommateurs occasionnels de bio ont peu à peu disparu, et les habitués ont réduit leurs paniers. La fréquence des courses est plus fractionnée. Or, les consommateurs avec les paniers les plus petits sont ceux qui achètent le moins de bio, car plus attentifs au prix du produit individuel.
  • La force du label bio est d’être complet et de « cocher toutes les cases ». C’est pourtant peut-être aujourd’hui ce qui le rend difficilement compréhensible auprès du consommateur, comparativement à des labels monocritères (HVE, ZRP, sans OGM…).

Perspectives et enseignements : une charte d’engagement de la GMS et/ou un observatoire des produits bio en GMS a été suggéré par les acteurs du plan bio pour relancer la consommation et responsabiliser la GMS dans le maintien et le développement des filières bio régionales (relocalisation d’appro, observatoire des prix, respect Egalim…). Cette proposition a reçu, pour le moment, un écho mesuré. Une première étape opérationnelle autour de la communication / promotion semble néanmoins envisageable :

  • Communication : Déploiement régional en cours de la campagne de communication #BioRéflexe comme levier de relance de la consommation, sous le pilotage d’A Pro Bio, et financée par le Plan bio régional. Les GMS ont été invitées à participer au tour de table pour déterminer les sujets les plus à même de susciter l’achat chez le consommateur, mais aussi à participer à la campagne en installant les outils de PLV dans leurs magasins. Par ailleurs, la communication autour de la bio doit être adossée à la provenance locale des produit : les distributeurs suggèrent que des producteurs puissent être présents en magasin pour créer du lien avec les consommateurs.
  • Engagement de la GMS pour la relance de la consommation : afin de donner suite à ces échanges visant à poursuivre les efforts pour relancer la consommation de produits bio, la Région, la DRAAF, et les partenaires techniques ont proposé aux GMS de travailler à la formalisation de ces engagements.
  • Etat des lieux de la distribution bio régionale : en 2024 APROBIO réalisera une étude sur la recomposition du système de distribution en Hauts-de-France.

Ce compte-rendu a été rédigé par Bio en Hauts-de-France. Il ne vise pas l’exhaustivité des échanges. Les enseignements / perspectives sont notamment le fruit d’une analyse faite avec les éleveurs de la commission lait de Bio en Hauts-de-France post-évènement. Il n’engage que son auteur.

Une newsletter sera publiée chaque trimestre à destination des éleveurs, opérateurs, partenaires publics pour favoriser la mise en œuvre des actions opérationnelles identifiées et favoriser le partage d’informations sur la filière laitière. N’hésitez pas à vous inscrire à la Newsletter en envoyant un mail à d.fauquenot@bio-hdf.fr